Taranakis, au bon lait de kiwis (part. II)

Après 4 jours de marche entre pluie et soleil autour du mont Taranaki, la randonnée se poursuit…


Jour 5 / Waiaua Gorge Hut – Kahui Hut / 5,5km – 3-4 hr

N’ayant aucune idée du comportement de la météo pour aujourd’hui, on saisit l’opportunité du matin et on lève les voiles dès 7h10 pour une séance intense de forêt humide.

Boue, racines, rivières, ponts et échelles se succèdent à un rythme effréné. Pas le temps de reprendre son souffle qu’il faut passer à l’obstacle suivant. L’avancée est lente et prudente, ce qui nous permet de profiter des superbes nuances de vert de la végétation.

Le quadruple panneau arrive comme un cheveu sur la soupe, tentant vainement de se fondre parmi les arbres aux multiples troncs qui peuplent cette jungle. Il nous annonce que notre destination se trouve au bout de la montée, à 1h30 de là.

45min plus tard, nous y voilà. Faut dire que les montées, ça nous connaît maintenant. Ne reste plus qu’à s’installer, sortir les duvets pour la nuit et le pique-nique pour ce midi. Dans le logbook, le nom d’une amie apparaît. Elle était là 6 mois plus tôt. Étrange sensation que ce chassé-croisé temporel en terres pacifiques.


« Tiens, une antenne dehors. Tu crois que ça capte ici ? On peut en profiter pour regarder la météo. Oh… pluies diluviennes pour les 2 prochains jours… Intéressant. »


Jour 6 : Jour 5 (suite) / Kahui Hut – Holly Hut / 7,5 km – 5-6 hr

Pas le choix, faut pousser jusqu’à la prochaine hutte, 5h plus loin. Ça nous évitera les 3h de marche qui remontent la Stony River, qu’on imagine déjà recouverte de boue et en crue, nous engloutissant à tout jamais dans les méandres de son lit. S’il fallait se motiver pour repartir, ces pensées nous remettent sur pieds rapido presto.

Descentes sans réfléchir, dénivelés vertigineux pour franchir des rivières… Après quelques fausses annonces, la voilà. Majestueuse et rocailleuse, elle s’étale sur une cinquantaine de mètres de large. Si le ratio pierres/eau est largement en faveur pour les premières, on imagine dans 2 jours ce qu’il en sera…

On commence à sentir la fatigue et l’avancée se fait au mental. Les cuisses poussent une dernière fois quand la hutte apparaît enfin. Une douche fraîche (la seconde de la journée), 4 paquets de noodles (exceptionnel) et on se couche. A priori, on aura tout le week-end pour se reposer…

Jour 6 / Holly Hut / Repos

Malgré la fatigue de la veille, la nuit n’a pas été terrible. La faute à une lune incroyablement brillante du fait de sa rondeur mensuelle. Peu importe. Il était prévu de la pluie et c’est peu dire que l’on est servi. La symphonie commence en douceur, avec quelques fines gouttes qui viennent délicatement caresser les feuilles. Une mise en bouche subtile et poétique qui ne dure pas longtemps. Voilà qu’arrivent les percussions avec leurs gros sabots.

Et ça martèle à tout va : la terrasse, le toit, le sol (qui n’arrive plus à suivre la cadence), les arbres… Tout. Sans pitié, sans relâche. Inlassablement. C’est à la fois violent et beau. Depuis nos duvets de l’autre côté de la fenêtre, bien au chaud, on admire le spectacle qui se joue devant nous. Le silence de la hutte déserte est mis à mal par ce vacarme venu des cieux. La journée s’annonce tracée : attendre le lendemain (au mieux) et occuper nos ventres et nos esprits autant que peut se faire.

Mais c’était encore une fois négliger la pugnacité du peuple néozélandais. Voilà qu’au milieu de cette cacophonie se font entendre des cris lointains. On tend l’oreille et on lève les yeux, incrédules. Apparaissent alors deux jeunes filles, puis deux autres. Puis cinq autres et plus encore. Tout un groupe scolaire venu de Wellington pour faire leur sortie du week-end, « no matter what ».

Notre havre de paix se voit envahit par une vingtaine de filles, bien contentes d’être enfin arrivées au sec. Ca papote, ça rigole, ça remue dans tous les sens. Face aux envahisseurs, on applique la politique de l’autruche et on se blottit encore plus dans nos duvets. L’hystérie ne retombera jamais de la journée et l’on finit par se prendre au jeu, analysant les différents flux qui font et défont la salle commune, tentant de discerner quelques bouts de conversations du brouhaha ambiant. La pluie tombe toujours et la nuit fait de même. Les voix diminuent et le calme reprend ses droits. Demain est un autre jour.

Jour 7 / Holly Hut / Repos – ennui

Il est 7h et le groupe scolaire a prévu de repartir dans 2h au plus tard. Le temps semble s’être calmé et on aperçoit même les collines d’en face. Mais notre instinct n’est pas convaincu et malgré ces belles promesses matinales, on décide de rester un jour de plus.

Les filles décollent et depuis la fenêtre, on les regarde s’engouffrer dans la végétation en se disant qu’on aurait peut-être dû faire de même… Mais voilà que 10 minutes plus tard, le déluge reprend. HA ! Toujours se fier à son intuition. Dehors il pleut, dedans non. Ce sera donc une journée de plus à la hutte, légèrement marquée par l’ennui en fin d’après-midi. Rien de dramatique, mais il ne faudrait pas que cela s’éternise…

Jour 8 / Holly Hut – Pouakai Hut / 4,5 km – 2-3 hr

Il pleut. Encore, et encore, et toujours. Mais voilà que la routine qui se profile est brisée. Non pas par une troupe de kiwis mais par un asiatique, dont l’accent à couper au couteau trahira immédiatement sa nationalité : un français comme nous, au sac à dos un peu trop gros pour être optimisé mais dont il faut saluer la bravoure. Parti ce matin malgré la météo peu engageante, il s’est quand même débrouillé pour arriver jusqu’à la hutte où nous végétons depuis maintenant 2 jours.

On papote, on déjeune ensemble et quand on lui explique qu’en théorie le temps devrait s’arranger dans l’après-midi, il nous rit au nez. Bien mal lui en prendra puisqu’une petite heure plus tard, un filet de lumière transperce les nuages d’un gris profond, comme pour nous inviter à poursuivre jusqu’à la dernière hutte, 2 heures de marche plus loin. On ne se pose pas de question, on fonce, notre cher ami se décidant à nous suivre, peut-être pour se sentir moins bête.

Evidemment, le chemin qui s’offre sous nos pieds a légèrement perdu de sa teneur habituelle. 48h de pluies diluviennes l’auront transformé en une espèce de toboggan aquatique géant, où le moindre pas se calcule selon la profondeur d’eau la plus faible. C’est le test ultime pour nos chaussures en cuir fraîchement acquises quelques mois plus tôt.

Mais il suffit de lever un peu la tête et d’oublier ce qui se passe en bas pour pleinement profiter du spectacle offert en cette éclaircie de grâce. Une végétation luisante comme jamais, des couleurs ocres aux teintes infinies, rivières et chemins se confondant… La vallée marécageuse a revêtue ses plus atouts pour notre petite escapade du jour. Cela valait bien le coup de mouiller le maillot.

Arrivés à la hutte, les pieds trempés pour lui et relativement secs pour nous, on retrouve un suisse croisé plus tôt dans la journée qui tente vainement d’allumer un feu. L’entreprise est en effet ardue : le bois est humide et le briquet qui crache ses quelques flammes peine terriblement à provoquer la moindre étincelle.

C’est alors qu’entre en jeu Paul l’irlandais, venu aussi tâter de la pluie aux sommets. Insufflant un vent de révolte au sein de la troupe, on se met tous à gratter du bois pour en faire des monticules de copeaux bien plus inflammables que les grosses bûches trempées. Une bonne heure plus tard, il est là : le feu sacré auprès duquel on passera l’après-midi à se sécher et se réchauffer.

On rechaussera nos chaussures une dernière fois pour le coucher du soleil, afin de jeter un œil (et même deux) au fameux mont Taranaki, celui pour lequel nous avons fourni tous ces efforts, et dont le célèbre reflet dans le petit lac n’a d’égal que l’atmosphère qui règne ici-haut. Inévitablement attirés par ce cône majestueux, les nuages s’agglutinent en masses duveteuses un peu partout autour de nous.

Mais le froid nous ramène vite à la réalité, et c’est après une bonne partie de cartes/cacahuètes que chacun ira se blottir dans son duvet. Rendez-vous est pris pour dans une poignée d’heure, afin de remettre ça pour potron-minet cette fois.

Jour 9 / Pouakai Hut – Visitor CENTER / 13 km – 5-6 hr

Malgré un réveil des plus matinaux, il aura été difficile de profiter des tous premiers rayons de soleil, la faute à ces mêmes nuages qui nous émerveillaient il y a moins de 12h. La météo ne s’annonce pas idéale, et c’est après une réflexion cornélienne (et il faut le dire, motivé par le départ des autres) que l’on décide de quitter la hutte pour ce dernier bout de trajet.

Pas de regrets, le ciel bleu est bien au rendez-vous. Certes, accompagné d’une quantité non négligeable de chantilly, mais rien qui ne puisse gâcher notre plaisir de contempler une dernière fois cette étendue spectaculaire.

Après avoir quitté les hauteurs pour retrouver la forêt, la descente se déroule dans encombre. La pluie s’invite sur le dernier tiers et c’est avec un grand soulagement, et une certaine satisfaction, que l’on retrouve le Visitor Center et sa mamie ranger qu’on avait quittés 9 jours plus tôt.

A peine le temps de savourer un petit chocolat chaud qu’il faut déjà songer à regagner la civilisation. Le stop s’annonce délicat compte-tenu de la météo et le peu d’alternatives d’offrant à nous s’avère légèrement démoralisant. Finalement, notre sauveur sera un kiwi, qui propose un service de navette à la demande. L’affaire semblait vouée à l’échec puisqu’une réservation à l’avance et un nombre suffisant de personnes étaient les conditions requises pour en bénéficier.

Mais notre texto désespéré et le fait qu’il passait dans le coin pour le travail auront déjoué les pronostics, et c’est après 45 minutes et une réduction de 20$ (plus assez de liquide sur nous) qu’on termine la journée dans un des campings de la ville, en bord d’océan, avec un grand soleil en prime. On profite des dernières heures pour se balader sur la plage de sable noir, en se ressassant les images de notre toute dernière épopée pédestre néo-zélandaise, si proche et déjà si loin. On ne pouvait rêver mieux comme cadeau d’adieux. Merci Taranaki.

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