Ocean’s Twelve

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Nichés dans le creux de la côte australienne, au sud-ouest du Victoria, douze apôtres de pierre prendraient un bain de pieds et se feraient masser les cuisses au rythme des vagues de l’océan Pacifique. Il n’en fallait pas plus pour nous intriguer et nous décider à leur rendre une petite visite…


Jour 1

Great Ocean Walk, nous voici. Pas d’esbroufe, on débute ce nouveau périple par une demi-journée pépère. Faut dire qu’avec nos sacs remplis de victuailles et débordant d’affaires en tout genre, on fait pas les fiers.

Pas comme ce petit koala accroché à son arbre en plein milieu du chemin, à hauteur d’yeux et portée de main. Le regarder mâcher ses feuilles d’eucalyptus est un spectacle dont on ne se lasse pas mais pas touche ! derrière cette boule de poil se cachent des griffes bien acérées pour quiconque essayerait de troubler son repas.

Pour ce soir, plutôt que de dormir dans le camping (payant) prévu pour les marcheurs, on jette notre dévolu sur ce petit promontoire qui surplombe l’océan. Authentique, cosy et isolé, que demander de plus.

D’ici, on peut admirer les rochers du rez-de-marée, dont l’agencement ressemble comme deux gouttes d’eau au plan des villes modernes, avec ses avenues d’algues et ses buildings volcaniques. Cependant, la vie y est beaucoup moins agitée, à l’image de ces étranges créatures (animale ? végétale ?) bleues, dont la nocivité potentielle n’a d’égal que sa fascinante beauté marine.

Jour 2

Aujourd’hui, on quitte la côte un moment pour s’enfoncer doucement dans les tréfonds du Great Otway National Park. Parce que oui, dans la région, tout est great. Nous sommes accueillis par des arbres gigantesques, droits comme des I et qui doivent à peine nous apercevoir depuis le haut de leurs branches.

On joue à chassé-croisé avec une famille locale qui profite du long week-end pour faire prendre l’air à leur progéniture. Les 45 minutes qui nous séparent nous laissent le temps de nous reposer sur les quelques bancs semés sur le tracé, de leur chauffer la place, puis de repartir sans se presser.

La plage de Blanket Bay marque théoriquement la fin de l’étape. Puisque l’après-midi s’offre à nous, lézardons dans les couvertures de sable et les coussins de coquillages. Mais insatiables que nous sommes (et surtout déterminés à ne pas payer ces foutus camping), on poussera encore quelques kilomètres pour rejoindre un campground plus isolé et moins touristique. Non mais oh.

Jour 3

Après une nuit arrosée, le réveil est difficile. Non pas qu’on a la gueule de bois, mais plutôt les pieds dans l’eau. Rien de bien méchant néanmoins, on commence à être rodé à ce genre de situation.

Le petit déjeuner est l’occasion d’accueillir un petit nouveau : le chocolat chaud en poudre. Résultat mitigé, le goût n’étant pas vraiment au rendez-vous. D’autres essais seront nécessaires pour tenter de déterminer si c’est à cause du dosage ou des restes des nouilles dans la casserole.

La journée se passe sans encombre. Plusieurs bateaux ont sombré ici par le passé, ça serait bête de finir dans le même état. On longe la côte tout du long, en gardant bien l’océan sur notre gauche qui se déchaîne à grands coups d’écume sur les falaises, sous l’œil attentif du phare du Cape Otway. En fin de journée, pas question de baisser la garde : il reste encore à esquiver les flaques d’eau et traverser ce joli pont de bois pour pouvoir prétendre au repos.

Jour 4

Pas de pluie ce matin, juste les yeux un peu brumeux. Le soleil nous fait encore la gueule et la réconciliation semble loin. Tant pis pour lui, ça nous permet d’accorder plus d’attention à la grande étendue bleue qui chatouille les différentes plages de la côte.

Il est midi pétante, et ce spot doté d’un petit banc et d’une barrière de corde pour le point de vue est parfaitement idéal pour l’expérimentation du jour. Car ce déjeuner n’est pas un déjeuner comme un autre. Au menu : patates déshydratées et soupe crémeuse aux champignons. Et c’est peu dire que le résultat est un succès ! Comment avons-nous pu passer toutes ces années sans y penser. Savoureux, copieux, énergétique, léger à transporter, facile à préparer… Ce jour est à marquer d’une pierre blanche. Le monopole des noodles est révolu, le mouvement des tubercules est en marche !

L’innovation est telle que même le soleil décide de partager notre enthousiasme. On fait tomber les impers et on reprend la route, le cœur léger et le ventre plein. Mais cette beach de Johanna n’était manifestement pas d’humeur et nous impose 2 kilomètres de sable en plein cagnard pour finir. Elle pousse même le vice jusqu’à nous faire enlever nos chaussures pour franchir ce petit cours d’eau qui ne paye pas de mine. Bah, ce n’est pas ça qui nous empêchera pas de fantasmer toute la soirée sur notre découverte gastronomique.

Jour 5

Cette étape n’est pas particulièrement longue sur le papier mais sur le terrain, c’est autre chose. Ce qu’on ne voit pas sur la carte, ce sont les innombrables montées et descentes qui nous attendent, telles des montagnes russes impatientes de maltraiter les petits chariots de bois qui osent les affronter.

C’est donc avec une légitimité toute naturelle qu’on s’accorde une grosse pause sur une des nombreuses plages traversées, affalés dans le sable chaud en mangeant nos dernières saladières. Juste nous et l’océan, à regarder les mouettes et sentir le vent sur nos visages. Mais c’était sans compter sur l’armée de scouts femelles qui débarque sans prévenir, vêtues de leurs guêtres ridicules et dont l’incessant débit de parole vient percer nos tympans. On serre les dents, se dit qu’on est des vieux cons et on laisse passer l’orage australien. Il vaut mieux qu’elles soient devant nous que derrière après tout.

On recentre notre attention sur ces falaises pour le moins étranges. Truffées de billes de roches, elles ressemblent à des murs d’escalade (qu’on s’empresse de tester évidemment). Par terre, moult de ces prises naturelles ont cédé à la gravité mais en ont profité pour faire corps avec le sol. Impossible à déloger donc, comme peuvent le témoigner nos doigts de pieds dupés par cette fourbe illusion.

On se remet en selle, et apparaît au détour d’un virage un petit spot qui nous semble idéal pour passer la nuit. Mais notre enthousiasme s’évapore rapidement quand on réalise qu’une colonie de mini sangsues avait déjà repéré les lieux… Pour ce soir, ce sera nuit au camping officiel, comme tout le monde. Et pour se remettre de ces émotions hirudinesques, rien de mieux qu’une petite préparation à base de purée et de petits pois à la menthe déshydratés pas piquée des hannetons.

Jour 6

Grasse mat’ sur le grassy lookout ; petit déjeuner sur un banc avec vue sur les terres qu’on a foulées. La journée ne peut mieux commencer. Et notre humeur farniente perdurera jusqu’à la tombée de la nuit. A tel point qu’en fin d’après-midi, quand la chaleur commence à lâcher du lest, on pose nos fesses sur le bord du chemin pour contempler l’horizon et repenser à ce qui s’est passé ces 7 derniers mois, un brin nostalgiques. Déjà.

Entre temps, on aura mangé le midi avec ceux qu’on appelle « les rois mages », un trio de randonneurs atypiques et sympathiques ; sans parler de l’escapade sur la plage qui se trouvait 378 marches plus bas, où nous attendaient, échoués sur la rive, des vestiges d’une autre époque.

Jour 7

Dernier jour de la randonnée. Le train repart, tout le monde embarque dans le même wagon. Rapidement, les écarts se creusent et on dit au revoir une dernière fois à nos connaissances d’un temps.

L’arrivée au patelin qui se trouve à mi-distance se fait sans encombre. Il fait chaud, on sue, mais ça on connaît. Ce qui est plus étonnant, c’est cet énergumène qui marche avec son gros sac et sa tablette à la main en écoutant sa musique. En 6 ans de carrière, on a jamais vu ça…

Qui dit patelin, dit petit café local. Le ventre reprend ses droits après 7 jours de mise au ban et sommet le cerveau et les jambes de s’arrêter. Après tout, on est pas pressé de rentrer en ville. Vendu, on passe la nuit au camping du coin. Le soleil exhibe ses rayons comme jamais et les enfants pédalent dans tous les sens. On s’enfile un toastie 4 étoiles et on s’allonge sur l’herbe chaude. On rendra visite aux 12 gugusses demain matin, ils peuvent bien attendre.

Jour 8

Rebelote. Comme sur le Larapinta Trail, on abrège la nuit pour se mettre en branle dès 4h du matin. L’humidité est au rendez-vous mais l’excitation aussi. On n’a pas l’occasion de marcher le long de la côte sud australienne de nuit très souvent.

Bon, il faut bien avouer qu’après seulement quelques kilomètres, les lumières de nos frontales se dissipent dans celle du jour qui se lève. Au loin, la silhouette d’un kangourou se dessine. Il est probablement de garde pour surveiller et rapporter les mouvements dans les environs.

C’est donc avec un soleil déjà bien en forme qu’on assiste au réveil des 12 apôtres, ou plutôt *spoiler alert* des 8 qui sont encore en vie. Filous d’office du tourisme, ils sont prêts à tout pour appâter le chaland. On pourrait pourtant imaginer une mise à jour dès qu’une masse rocheuse se casserait la gueule : les 7 mercenaires, les 4 fantastiques ou encore les 3 mousquetaires… Mais trêve de complaintes, reconnaissons une certaine prestance à ces papys géologiques, solidement ancrés dans l’eau (plus ou moins) et dont les cicatrices du temps nous laissent songeurs.

Rapidement, la nature humaine reprend ses droits. Les touristes se déversent par dizaines sur le ponton, et ce qui était il y a encore quelques minutes un havre de paix se transforme soudainement en tour de Babel. Il est temps pour nous de déguerpir.

Pouce levé, pancarte bien tenue sur la poitrine, on sourit à tout ce qui passe, conscients que malgré la quantité affolante de véhicules qui entrent et qui sortent, 75% sont des touristes asiatiques et 15% des camping-cars deux places, bien incapables de se permettre de rajouter deux clampins avec leurs énormes coquilles. En rajoutant le fait qu’il y ait une chance sur deux pour qu’ils aillent dans la direction opposée à la nôtre, notre pourcentage de succès n’était pas bien élevé. Mais c’est finalement au bout d’une heure trente d’exhibition de dents que notre salut, improbable, se dessine : un couple de touriste polonais venu passer 1 mois en Australie / Nouvelle-Zélande. Vive l’Europe, vive l’Océanie. Le trajet du retour passera comme une lettre à la poste. Melbourne nous revoilà.

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