L’histoire sans fin

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Deux ans après leurs aventures australiennes, nous retrouvons nos deux agents A&M pour une nouvelle mission d’une toute autre nature. Pas de chasse au crocodile cette fois, place à de la diplomatie 2.0…


On est peinard au soleil, en Nouvelle-Calédonie, à savourer notre retraite anticipée bien méritée après cette traque au fin fond du bush australien. Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, voilà que le bigophone se met à sonner. C’est l’agence. On avait presque fini par les oublier ceux-là… Ils ont du nouveau pour nous. Comme tous les autres membres sont déjà occupés, ça nous retombe dessus. Les promesses d’une fin de carrière tranquille au bord du lagon n’auront pas tenu bien longtemps.

Paraît qu’il y a une affaire de la plus haute importance qui se trame au Japon, pas loin d’ici. On a pas bien compris quoi exactement mais visiblement, il faut qu’on parte en immersion chez les nippons. Et l’agence a été claire : c’est une mission longue durée. 6 mois minimum. Débrouillez-vous avec ça qu’ils nous ont dit. Et évidemment, on ne peut pas compter sur eux pour les démarches administratives. Un visa touriste ne suffira pas et c’est à nous de faire les démarches pour obtenir un permis de séjour plus long.

31 mai 2019 – 09h10

On contacte donc l’ambassade du Japon qui se trouve à Paris, la capitale de notre (désormais) lointain pays. En théorie, il faut se présenter en personne à leur guichet pour déposer le dossier mais nos fonds étant limités, on se voyait mal faire l’aller-retour pour quelques papiers. Et c’est pas avec notre radin de boss qu’on pourrait passer ça en frais de mission.

On leur demande donc gentiment s’il serait possible de leur envoyer le dossier par courrier, en prétextant qu’on est plus dans l’hexagone et qu’on s’est expatrié sur le caillou. Wait and see comme on dit.

31 mai 2019 – 19h46

Ils nous répondent déjà. Bon point ça, ils sont réactifs. Par contre, ils ont l’air tatillons aussi. Ils veulent en savoir plus sur notre situation particulière. Alors on brode, et on s’invente un tonton calédonien qui nous héberge depuis quelques années, ainsi que des rencontres avec des descendants de japonais installés ici. C’est pas mal ça comme histoire, ça devrait leur faire baisser la garde.

4 juin 2019 – 17h38

Toujours aussi réactifs. Mais encore plus tatillons. En plus des classiques attestations d’hébergement et justificatif de domicile, ils veulent une preuve du lien de parenté… Ça, c’était pas prévu. En réalité, on a sollicité le soutien de deux agents dormants, E. et E., installés à Dumbéa avec leur petite famille .

Bon, on se raccroche aux branches avec finesse et délicatesse et on sort le joker « instant culture » en invoquant le fait qu’ici, le terme « tonton » est passe-partout et n’implique pas forcément de lien familial. Ça serait dommage de faire capoter la mission pour un vulgaire quiproquo linguistique quand même…

7 juin 2019 – 16h28

Fiou, c’est passé ! On a l’ambassade dans la poche, y’a plus qu’à leur envoyer le dossier. C’est une autre affaire ça, parce qu’en termes de paperasse, ils n’y vont pas de main morte. Programme détaillé et budgété, certificat médical, lettre de motivation… De notre carrière, on a rarement vu un interrogatoire si poussé, aussi numérique soit-il. Mais peu importe, on joue le jeu et entre deux baignades avec les poissons, on monte notre dossier. Finalement, en y repensant, la course au crocodilidé c’était pas si mal.

21 juin 2019 – 18h20

Les dossiers sont envoyés. On espère une réponse rapide parce que l’agence nous demande des comptes rendus d’avancement et commence à s’impatienter… Bon, on se donne 2 semaines, le temps de partir s’entraîner un peu dans la brousse, loin de toute connexion internet. Ça devait leur laisser le temps d’étudier nos propositions.

4 juillet 2019 – 18h37

Après une reprise de contact, ils nous signalent qu’ils n’ont rien reçu… Damn it ! Ces maudits parigots-nippons n’ont pas une boîte mail suffisamment costaude pour recevoir nos dossiers. On est pas complotiste mais on se demande si c’est pas le coup d’un ex-sbire du Croc’ pour nous pourrir la vie. Bon, on se ressaisit, on découpe tout ça en plusieurs petits envois et c’est reparti pour un tour.

5 juillet 2019 – 16h31

Alléluia, ils les ont bien reçus mais posent encore et toujours autant de questions. Cette fois, c’est le passeport de A. qui dérange. Renouvelé en Nouvelle-Calédonie il y a peu, l’adresse métropolitaine y figure toujours. Les doubles vies d’agent, c’est toujours un peu compliqué. Allez expliquer ça à notre fonctionnaire aux yeux bridés, pas facile.

Et c’est pas tout : la facture d’électricité qu’on leur a envoyée ne convient pas. Ce qu’ils veulent, c’est une taxe d’habitation et rien d’autre. Alors on se retourne vers nos contacts locaux qui nous ont fourni la lettre d’attestation d’hébergement.

14 juillet 2019 – 11h14

Le problème ici, c’est que tout va plus lentement qu’en métropole. Si aujourd’hui les feux d’artifices sont à l’honneur côté hémisphère nord, ici-bas, il aura fallu 9 jours pour que nos soutiens nous apprennent qu’il n’y a pas de taxe d’habitation en Calédonie…

Et l’agence qui commence à nous mettre la pression et douter de notre bonne volonté ! La diplomatie c’est très bien, mais ça demande de la patience et de l’abnégation.

6 août 2019 – 19h48

En parlant de patience, voilà que notre interlocuteur de l’ambassade s’est pris 3 semaines de vacances. 23 jours pour nous répondre qu’à défaut de la taxe, ils consentent à recevoir l’acte de propriété de nos hôtes. Rien que ça. Une copie de l’empreinte digitale des doigts de nos amis aurait été plus simple…


C’est la panade. Voilà plus de 2 mois qu’on se dépêtre avec une ambassade qui se trouve à 22 000km de là, qu’on bricole et assemble des semi-vérités pour faire passer le morceau, qu’on a le nez dans les papiers, que l’agence nous tanne pour obtenir des résultats concrets… Les documents exigés par les japonais sont toujours plus difficiles à obtenir et on ne voit vraiment pas comment on peut se sortir de l’impasse. Diable, on est des agents de terrain nous, pas des bureaucrates en costard-cravate !


30 août 2019 – 13h03

Après une longue session de brainstorming par Skype avec le QG, on a décidé d’un nouveau plan d’action. Au-revoir les agents E. et E. (les proprios, c’est trop galère) et place à deux autres agents, F. et F., qui eux sont locataires et ont été mutés sur l’île l’année dernière. On invoque un déménagement tardif et on renvoie nos dossiers avec cette fois la quittance de loyer à l’appui. Ça passe ou ça casse…

4 septembre 2019 – 16h28

Après quelques jours de silence d’une pesanteur sans nom, l’ambassade nous réplique avec une nonchalance non dénuée d’un certain cynisme qu’ils ont bien reçu les documents mais faute de temps, n’ont pas pu y jeter un œil. Zen, calme et sérénité.

12 septembre 2019 – 20h08

Ça y est, le couperet est tombé. On est foutus. Ils veulent maintenant un document à notre nom mentionnant une adresse calédonienne. Les salauds, ils nous prennent pas derrière pour nous asséner un coup du lapin fatidique. Quelqu’un doit leur avoir dit qu’on a rien de tout ça, quelqu’un de mal intentionné, qui cherche à nous nuire, à salir la réputation de l’agence.

Dépités, on réfléchit déjà à comment annoncer la nouvelle au QG. C’est la débandade. On va terminer notre carrière sur un échec cuisant, sans panache, sans empoignade homérique. Juste avec un pitoyable mail. Voilà la fin de notre histoire. Terriblement cruel.


C’est avec la queue entre les jambes qu’on s’apprête à réserver nos billets, sur ordre du boss. Il espère quand même qu’avec 3 mois, on peut faire quelque chose de potable. On y croit moyen mais on se laisse convaincre malgré tout.

Mais il était dit que notre calvaire durerait jusqu’au bout. On pense avoir trouvé des billets pas trop chers (c’est la crise que voulez-vous, même les meilleurs sont sous la contraintes de restrictions budgétaires) mais voilà que le compte bancaire que l’agence nous a fourni est à sec. Le temps de le renflouer, c’est sûr que notre bonne affaire va disparaître. La poisse on vous dit…


17 septembre 2019 – 19h38

En attendant désespérément que les sous arrivent, on rumine notre défaite. On se repasse en boucle l’échange interminable pour essayer de comprendre où est-ce que ça a foiré. Et puis tout d’un coup, on réalise qu’un mail est passé à la trappe. Daté du 13 septembre, soit le lendemain de la demande fatale, voilà qu’ils nous annoncent que nos dossiers ont été validés. Comme ça, sans plus rien demander. En 24h, leur position a changé du tout au tout et nous on a rien vu.

Hagards, on ne comprend pas vraiment ce revirement de situation. Mais on ne va pas faire les fines bouches. La machine est relancée ! On a la peau (de crocodile) dure on vous dit.

20 septembre 2019 – 14h23

Rendez-vous avec F. et F. à Bourail, dans une planque au bord de la mer. C’est qu’on a besoin des originaux des attestations, les copies seraient refusées illico par nos fous du papier. Zou. Dossiers balancés dans la boîte aux lettres, ainsi que nos passeports pour y tamponner les visas. Les dés sont jetés, il n’y a plus qu’à attendre qu’ils traversent le globe et atterrissent sur le bureau de notre cher ambassadeur. On est en 2019, ça devrait être assez rapide normalement.

05 octobre 2019 – 11h51

On avait oublié où on était. Nouvelle-Calédonie, ce recoin paradisiaque où le flux temporel semble éternellement pris dans des sables mouvants. Il aura fallu 15 jours pour que ces damnés papiers arrivent à destination, dont la moitié pour simplement parcourir les 160km qui séparaient la boîte aux lettres de la Tontouta, l’aéroport local.

15 octobre 2019 – 09h27

L’ambassade nous a indiqué avoir renvoyé nos passeports et que d’après leurs traqueurs, ils sont bien arrivés à Nouméa. Grand dieu ! le bout du tunnel n’aura jamais été aussi proche ! On enfile nos claquettes et on file à la capitale récupérer nos précieux sésames.

15 octobre 2019 – 10h14

Arrivés au guichet, on nous annonce que non, rien à nos noms. On donne nos matricules d’agence, mais non plus. Rien, niet, nada. « Ah mais attendez, c’est peut-être un Chronopost. On gère pas ça nous. Allez voir directement à leurs locaux ». Si tout était aussi simple qu’une bonne vieille course poursuite dans le désert…

15 octobre 2019 – 10h57

La stagiaire s’agite devant nous, fouille ses papiers 3 fois, parcours son écran des yeux mais ne trouve rien. Pas de colis pour nous. On croit rêver. Et pas le genre de rêve aborigène qui vous met en transe. Non, on est plutôt dans le cauchemar sans fin, celui dont on espère se réveiller d’une minute à l’autre mais qui continue encore et encore.

Il faudra qu’on s’occupe nous-même de finir le travail, comme d’habitude. Un rapide coup d’œil sur leur étagère et on repère notre bébé, au milieu de quelques autres colis qui se battaient en duel. On sait bien qu’on est des agents hors pairs mais quand même, où va le monde…


137 jours et plus de 35 mails échangés plus tard, on aura fini par les avoir. Deux bouts de papiers qui vont nous permettre de séjourner suffisamment longtemps au Japon pour élucider un mystère dont on ne sait encore rien.

Ce qui est sûr, c’est qu’une fois de plus, on a été à la hauteur de notre statut. Si avec ça l’agence ne nous promeut pas « détectives de l’année », on sait pas ce qu’il faut faire de plus.

Un commentaire Ajoutez le votre

  1. Mom dit :

    Comment faire une histoire palpitante avec des tracasseries administratives bravo!

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