Même si la ville est le terrain de jeu privilégié des ingénieurs en génie urbain, c’est pourtant bien à la campagne, isolés dans une ferme, que l’on a posé nos sacs. Ce monde mystérieux et inconnu pour les petits citadins que nous sommes. Un monde fait d’autres vérités.
Campagnard rime avec débrouillard. En tant que fermier du bush, Ewan a su se construire seul et vit en autonomie. D’échecs en rebondissement, il ne s’est pas arrêté à la première difficulté. Du courage, il en a à revendre : il a déménagé loin des siens, a construit une ferme malgré le climat peu propice au travail, et à l’élevage en particulier. Il s’est endetté, n’a pas renoncé, a continué. Plusieurs de ses rêves se sont ainsi réalisés.
Il incarne l’abnégation et la persévérance des premiers explorateurs fermiers de la région. Ceux-là même qui ont su survivre : se soigner, trouver à manger et à boire, se protéger des intempéries, innover, apprendre. Des besoins dont les habitants des villes ont oublié le sens : illico chez le médecin au premier bobo ; coup de fil pour obtenir l’eau, l’électricité, le chauffage ; réservation au resto si petit creux. Improvisation et adaptation étaient alors des mots de tous les jours.
A la ferme, on a suivi des cours intensifs de résilience, avec le travail physique répété sous le cagnard et une phrase qui tourne en boucle dans nos têtes : « quand on veut, on peut ».
Le travail, bien que pénible, est hautement gratifiant. On se lève tous les jours avec des objectifs pertinents. Le « très très urgent » n’a pas lieu d’être. Chaque action a un sens concret : on plante pour récolter et se nourrir, on élève des animaux pour avoir de la viande, du lait ou de la laine, on construit des barrières pour se protéger des dingos. L’utilité et le résultat de notre travail sont immédiatement visibles et appréciés. Il n’y a aucune futilité et aucun artifice.
Ewan a aussi la volonté de rendre son habitation durable, de fabriquer lui-même son énergie. La question de l’autonomie et de la responsabilisation des gens lui est chère. Alors qu’en ville les changements sont ralentis par l’inertie du groupe (plusieurs milliers, voire millions de personnes à secouer en même temps) et que l’autonomie est inenvisageable, un modèle durable est possible à une échelle plus réduite.
Cela s’accompagne d’une réflexion sur le sens que l’on souhaite donner à sa vie. Une ultime ambition : retourner à l’état d’homme, avec un beau H. Ewan a commencé par supprimer de son environnement ce qui lui était néfaste. Il s’est accommodé de ses terres et n’a pas modifié le paysage en profondeur. Ses vaches mastiquent l’herbe sur les collines, entre les termitières, dans la boue et la bonne humeur. S’il avait eu plus d’argent, il aurait sûrement transformé davantage sa ferme. Mais la vie est ainsi faite, et il peut continuer à profiter d’une nature intacte. Les oiseaux donnent du cui-cui à tout va, les herbes et arbres poussent à leur gré. C’est une vie au contact permanent de la nature, et pas seulement des humains. La tranquillité des lieux invite à la pensée.
Il produit sa propre viande, sans transport entre elle et son estomac, sans transformation non plus. Il fait pousser son garde-manger, sans pesticides, avec du fertilisant naturel. Les produits transformés de toutes sortes (pâtes, saucisses, huile,…) sont bannis de son alimentation. A la place des pâtes on mange une purée de légumes ; à la place des saucisses ce sera une côte d’agneau et à la place de l’huile, de la graisse animale. Une nourriture simple, naturelle, en accord avec nos racines d’homme de Neandertal. Surtout, en accord avec notre corps.
Notre apprentissage du respect du vivant, que ce soit animal ou végétal, et du respect de la nature y compris la nôtre est en cours. Les rats des villes que nous sommes ont trop pris l’habitude de la pollution sensorielle. On ne se soucie plus du bruit qui nous entoure, on fait notre footing dominical sur les boulevards embouteillés et on serait bien en peine de citer la moitié de la composition des aliments que nous avalons à chaque repas. Les espaces verts se partagent par dizaines de personnes et notre besoin d’espace est limité. Les intermédiaires et intermédiaires d’intermédiaires diluent temporellement et structurellement les saveurs. Et notre cerveau se plie tant bien que mal à cette routine.
Tu ne tueras point… Voici une histoire racontée par Miguel, l’ami zigouilleur d’Ewan. Son fils jouait avec un gecko dans la maison et, pour s’amuser, a fini par lui arracher la queue. Tout content, il est allé lui raconter ses exploits. Miguel l’a aussitôt ramené sur les lieux du crime et lui a dit : « Toute vie a de la valeur. Quand tu enlèves une vie, quand tu tues ou quand tu blesses, il doit toujours y avoir une raison. Maintenant que tu as cette queue dans ta main, tu vas la manger, pour donner du sens à ton acte ». C’est ainsi que père et fils ont mangé du gecko ; le genre de leçon qu’on n’oublie pas.
La vie à la ferme est dure et douce en même temps. Un mode de vie « slow life » connecté avec la nature, où l’on vit au rythme du soleil et des saisons. Levés avec le jour et couchés avec la nuit. Le soleil rouge du nord australien et la pénombre approximative de la nuit nous guide. Si l’on avait encore un doute, la croix du sud avec ses cinq étoiles brillantes indique la marche à suivre.
On est redevenu enfants, impressionnés, assis sur la terrasse la tête levée vers l’infini, à imaginer des petites constellations et notre grand futur. Nos yeux remplis de magie peuvent enfin se reposer et nos corps se bercer de rêves de nature. Demain il faudra semer des graines et on récoltera nos légumes dans quelques semaines et alors, il faudra trouver des recettes à cuisiner et des amis à inviter. Le veau deviendra vache (ou un bon plat), les bébés grandiront (il faut bien), les saisons passeront (pas la chaleur) et nous ne resterons au final qu’un simple grain de poussière dans l’univers.
Ces trois semaines à la ferme nous auront donné la satisfaction d’un travail accompli et utile, le bonheur de batifoler avec dame nature tout en tentant de la comprendre et de l’appréhender. Loin des clichés hipsto-urbains sur la vie à la campagne (le manger bio, l’engrais au caca…), Ewan nous a indéniablement inspirés. Et même si son accent marqué le rendait difficilement compréhensible, ses principes ne l’étaient pas. On a écouté et appris ; en attendant d’intégrer tout cela aux avantages que propose la vie au milieu des immeubles.
Très belle leçon de vie….
Belles photos, surtout la 1ère…et très beau texte! Faudra vous éditer, un jour…Chi lo sa?
Bises de DAD.