Jour 1 – 8,5km
Nous voilà déposés au milieu des plaines de Canterbury, à peu près au milieu de nulle part. L’excitation est au rendez-vous pour cette première en terres promises. On regarde autour de nous, hagards. Les montagnes sont bien là, on a hâte de faire leur connaissance. Mais ici, point d’eucalyptus. A la place, des arbres entièrement recouverts d’une drôle de mousse, leur donnant un aspect fantomatique des plus intriguant.
Malgré l’heure tardive, la chaleur est toujours présente. On se faufile tranquillement entre la végétation, traverse notre premier (d’une longue série) pont suspendu pour arriver à Cannibal Gorge Hut. Nous voilà donc devant notre toute première hutte, une spécificité typiquement néo-zélandaise. On avait prévu de dormir en tente mais ça serait faire honte à notre pays hôte. Et puis, y’a pas un chat dans les environs. Alors bon, on va pas se priver hein.
Jour 2 – 3km
Nouvelle innovation gastronomique ce matin : le lait en poudre ! Après avoir longuement tergiversé sur la façon dont on pourrait améliorer nos petits déjeuners, il nous est apparu comme une évidence d’utiliser cette poudre magique qui nous fait sentir comme à la maison. Agrémentée de semoule avec un peu de sucre et de fruits secs, l’opération est un franc succès. Les produits laitiers sont bien nos amis pour la vie…
La prochaine hutte est à peine à quelques kilomètres, mais pour compenser ce qui s’apparente à une journée pépère, on avait repéré sur l’internet un autre itinéraire qui partait de la hutte pour s’aventurer dans les montagnes environnantes.
D’aventure il n’y aura point puisqu’après avoir essayé d’arpenter les hautes herbes et remonter la rivière, il faut se rendre à l’évidence : il n’y a pas (ou plus) de chemin. En tout cas, rien de balisé. Et on n’est pas vraiment disposé à partir dans le bush la fleur au fusil. On ravale nos ambitions d’explorateurs pour passer en mode vacances dans la forêt. Sessions lectures agrémentées de trempettes dans la rivière (glaciale), et voilà que les premières étoiles commencent déjà à tomber sur nous.
Jour 3 – 10,5 km
La nuit a été bonne, bien qu’interrompue en raison d’un probable manque de fatigue. C’est qu’on s’habitue à marcher nos petits kilomètres journaliers. Et puis notre expérience en hutte est encore toute fraîche. Chaque planche qui grince, caillou qui remue est attribué à une activité humaine ou animale potentiellement hostile. Une sorte d’effet « maison hantée ». Quant à ces flashes de lumière aperçus par la fenêtre, on n’en saura jamais vraiment plus. Strange…
Midi pétante et c’est l’occasion de faire connaissance avec notre nouveau compagnon de voyage : le South Island robin, petit oiseau aux plumes grises incroyablement peu farouche. Toujours là à voltiger à droite à gauche à quelques centimètres de nous dès qu’on s’arrête. Enchanté.
La hutte « historique » devait être notre point de chute, mais son état est tel qu’on fera le kilomètre supplémentaire pour atteindre celle de Christopher, bien plus grande et entretenue. Une fois goûté au confort de ces cabanes néo-zélandaises, difficile de s’en passer. Sans parler de cette vue imprenable sur la vallée. Bref, arrêtons là le discours d’agent immobilier et profitons de la tranquillité ambiante
Jour 4 – 11km
On met en pause notre rando pour s’offrir un détour par le lac Guyon. On quitte le sentier principal pour en retrouver un autre quelques rivières plus loin. Et il faut bien les traverser ces rivières. Comme dit l’autre : pas de pont, utilise tes petons. Alors on se déchausse et on franchit tant bien que mal ces cours d’eau dont le courant paraissait plus calme et les cailloux plus plats de loin.
Hier les oiseaux, aujourd’hui les chevaux. Traversée de terres privées oblige, un troupeau d’échinidés broute paisiblement sur le chemin. On s’approche, ils s’écartent. On avance, ils nous contournent. On se retourne, ils se rapprochent. Curieux et amicaux. On admire. Toujours avec précaution ; c’est musclé ces bêtes-là.
Le soleil tape, alors on temporise sous quelques arbres bienvenus. D’ici, on voit déjà qu’il faudra une nouvelle fois ôter nos souliers pour tremper nos doigts de pieds. Tout se mérite ici… Mais une fois ces émoluments terminés, impossible de résister. Cette couleur, cette chaleur : la baignade est de rigueur !
Un petit rinçage ne fait clairement pas de mal, d’autant que ce soir, on fait notre crémaillère de tente sur les terres Maori. La faute à ces deux néerlandais qui occupent déjà la (très) compacte hutte qui veille sur la vallée. M’enfin, merci quand même.
Jour 5 – Farniente
Aujourd’hui, c’est repos. Depuis notre cocon en fibres synthétiques dans lequel on fait une grasse mat’ des plus savoureuses, on entend les 2 néerlandais s’envoler vers de nouveaux horizons. On pensait avoir la hutte pour nous tous seuls, mais l’euphorie est de courte durée.
Deux cyclistes de perdu, un fou de la pédale retrouvé. Et pas n’importe lequel ! Un Kiwi, un vrai de vrai, fusil de chasse à l’épaule. Inévitablement (comme toujours dans ce genre de trio amoureux), la conversation s’engage. L’échange est déséquilibré, avec d’un côté un papi à l’accent à couper aux couteaux qui enchaîne les anecdotes, passant du professionnel au personnel sans transition ; et de l’autre, deux jeunots bien polis qui, après plus d’une heure (véridique !) à avoir écouté les frasques du petit-fils-de-4-ans-qui-ne-jure-déjà-que-par-le-golf-au-grand-dam-de-son-grand-père-mais-qui-quand-même-apprécie-les-sorties-en-camping-avec-pépé-l’espoir-n’est-pas-perdu, se disent qu’il serait temps de mettre les voiles et de se remplir la panse.
Désillusion quand tu nous tiens. Ce midi, on teste le riz Uncle Ben’s. Pas mauvais certes, mais les quelques grains de riz qui se battent en duel dans notre gamelle font peine à voir. Erreur de débutants, on aurait dû s’en douter. Tant pis, ça ne nous empêchera pas de profiter de l’après-midi autour du lac, agrémentée de quelques trempettes par ci par là.
On en profite d’autant plus que les nuages commencent à se rassembler. Et en moins de temps qu’il n’en faut pour cuire des noodles, voilà que le tonnerre gronde et résonne tout autour de nous. La nuit sera bruyante. Et mouillée.
Jour 6 – 16km
Après la pluie, le beau temps. Et comme si on avait besoin d’une démonstration, la nature avait à cœur de nous le prouver. Après une vingtaine de minutes dans la brume, où lac, montagnes et arbres se confondent dans des ombres mystérieuses, le bleu éclatant du ciel nous rappel à l’ordre : il est temps de repartir.
D’autant que l’étape du jour est plutôt à découvert. Pas un brin d’ombre ne s’offrira à nous sur les 16km qu’on doit parcourir. Mais avant de régler ce petit problème de bronzage intempestif, il faut faire face à quelque chose que l’adage ne dit point. Après la pluie, la rivière monte… Mais pas le choix, il faut bien la traverser. On remonte les pantalons aussi haut que possible, on serre les dents et on se lance. Plus de froid que de mal. Les genoux sont un peu mouillés mais avec la chaleur ambiante, le temps de séchage avoisine la poignée de secondes.
Midi sonne, les bidous résonnent. Mais toujours pas d’ombre. Alors on s’improvise un temps en bédouins de la montagne. En quelques coups de bâtons, notre bâche de sol devient toit protecteur et nous voilà dans notre abri de fortune, au bord de la rivière, à savourer notre purée, pas peu fiers de notre ingénieux bricolage.
Le reste de la journée ne sera, entre quelques gouttes de sueur, qu’émerveillement continu au creux de la vallée, à contempler les montagnes qui nous entourent. Quelques rivières enjambées (avec à chaque fois le même rituel de retirage de chaussures pour bien casser le rythme), un pont traversé et nous voilà dans la hutte d’Anne, où nous attendent une tripotée d’allemands en culottes courtes. Ce soir, la tente sera une nouvelle fois de mise.
Jour 7 – 17,5km
Chaud. Encore plus chaud. Hier, on nous a annoncé qu’il ferait 34°C aujourd’hui. Nos fronts en suintent d’avance. La hutte est vide, tout le monde est déjà sur la route pour profiter de la fraîcheur du matin. Et nous, comme si de rien n’était, nous voilà à siroter notre lait en poudre et notre semoule en lisant des magazines de rando dispatchés çà et là dans le superbe abri en bois construit il y a seulement 7 ans. Finies les conneries, en avant les froggies.
Contrairement à hier, le paysage est plus diversifié. Des patchs d’arbres jalonnent le parcours et apportent de l’ombre divine quand nos corps fondent sous les rayons solaires. La rivière d’Anne nous accompagne tout du long, donc pas de problème de ravitaillement en eau. Non, le problème vient plutôt d’en dessous du sol, de cette abondance d’eau justement. Certaines zones sont carrément marécageuses et nos pauvres chaussures se retrouvent noyées dans plusieurs centimètres de boue visqueuse à souhait.
M’enfin, on ne va pas se plaindre. Parce qu’en parallèle de nous, il y a ce couple d’allemands qui se sont perdus à vélo. On ne connaît pas les détails de l’histoire mais ce qu’on sait, c’est que le chemin n’est clairement adapté aux deux-roues, aussi écolos soient-ils. A chaque montée un peu raide, à chaque pont étroit à traverser, on pense à eux. Arrivés à la hutte, ils sont là, étalés sur le porche, accablés par la fatigue. Plus que perdus, ils sont carrément en mode survie : pas de nourriture, pas d’encas, rien.
Face à notre premier test de solidarité itinérante, on décide d’agir. On avait prévu un jour de rations de plus, au cas où ; et le cas est là. Alors on leur cuisine notre spécialité : purée déshydratée dans sa soupe poulet et croutons. Pendant ce temps-là, on en profite pour aller barboter dans la rivière et improviser un nettoyage express, à la fraîche. Dieu que c’est bon.
C’est aussi ce que les teutons ont dû se dire après 24h de diète forcée. Remerciements chaleureux dans un anglais approximatif, et chacun file se loger dans sa couchette réconfortante.
Jour 8 – 13,5km
Pas de tente à empaqueter ce matin, mais il est déjà l’heure de se lever. On aperçoit nos rescapés germains claudiquant vers leurs vélos, et on se dit que leur calvaire est presque terminé.
La fin de la rando se déroule tranquillement sous nos pieds. Rien de particulier à signaler si ce n’est ces quelques troupeaux de vaches broutant entre les montagnes. La vision de ces bovins au milieu d’un tel paysage est quelque peu incongrue mais bon…
Au bout nous attend une sorte de relais pour les plus aguerris des marcheurs, ceux qui font le Te Araroa, la traversée du pays sur plus de 3 000km. Les petits joueurs que nous sommes ne sont pas en reste pour autant puisque la gérante nous accueille avec un grand sourire et nous emmène vers le coin dédié aux « passants ». Table de pique-nique, kitchenette, bouilloire… Ce midi, c’est grand luxe. Nos patates assoiffées sont prêtes en moins de deux et on s’offre même en dessert une mini glace au chocolat. L’hyperglycémie n’est pas loin.
Nous voilà donc prêts à rentrer au bercail à l’aide de notre fidèle main préhensile. Et on se rend vite compte que ça ne sera pas de la tarte. Plantés au milieu d’une succession d’on ne sait combien de virages, on se dit qu’il faut que le conducteur bienveillant qui nous accueillera à ses côtés doit être sûr de son coup. Pas le temps de se demander si « les gugusses sur le bord de la route ont l’air sympathiques ». D’autant que ça roule vite en Nouvelle-Zélande, virage ou pas virage.
Finalement, entre deux camions de fret, c’est une taïwanaise dont le PVT arrive à expiration qui fera office de taxi. Décidément, ce trek nous en aura littéralement fait voir de toutes les couleurs.
La gymnastique du lecteur….un coup en nouvelle Zélande un coup nouvelle Caledonie faut suivre…
Nous avons du revoir notre politique chronologique afin de garantir au lecteur un flux relativement continu de contenu.