Le bush à oreille

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Il était une fois, une princesse dans un château qui attendait… Non. Vous pouvez oublier cela en Australie. Pas de prince charmant ou de carrosse en argent. Pas de chichis, pas de paillettes, pas de froufrous. Dans le Top End, les histoires et légendes aborigènes – les dreamings et autres songlines– vous apprennent comment s’en sortir en milieu hostile, apprivoiser la nature et passer la saison des orages en un seul morceau.

C’est d’ailleurs à cette période que les aborigènes se souviennent de Namarrgon – l’Homme-Foudre – qui brandit son éclair avec ses mains et ses pieds, pour bien en imposer. Quand ses coudes et ses genoux s’entrechoquent, le tonnerre résonne, tel le son des os d’un vieil homme qui craquent. Namarrgon est puissant : ses déchainements  électriques en saison humide font trembler les hommes. Mais Namarrgon est sympa : il prévient. Alors aux alentours d’octobre, il envoie son enfant Aljurr – Petit-Eclair – pour répandre la nouvelle de son retour. Aljurr prend la forme d’une sauterelle brillante, orange et bleue. Les aborigènes savent en la voyant qu’il est grand temps de chercher un abri pour les mois à venir. Pendant la saison sèche, Namarrgon se repose à Arnhem Land, dans le creux de trois énormes piliers rocheux. Un endroit difficile d’accès où il n’est pas recommandé de se rendre.

L’Homme-Foudre fait partie du « panthéon » des aborigènes, composé des First People, ces premiers êtres transformistes (humains, végétaux, animaux) qui ont voyagé à travers toute l’Australie durant le dreamtime – le temps de la création – pour finalement poser leurs valises dans des djangs, des lieux devenus sacrés. A ne pas trop déranger sous peine de représailles corsées, comme ce pauvre bougre qui a perturbée Miyamiya, une maladie d’une certaine rivière, et s’est retrouvé avec les articulations triplant de volume.

A l’ouest du Top End, Malajagu a roulé sa bosse dans la région en se dessinant des points de goanna sur le corps, fredonnant la chanson goanna et s’est même transformé en goanna. Tout ça pour finalement se changer définitivement en gros boab (les baobabs australiens) et s’enraciner sur place. Une sorte de rêve party dans le bush quoi, sans queue ni tête (de goanna).

Cette drôle d’histoire contient plus d’un enseignement dans son sac. Il y a d’abord la songline qui raconte l’itinérance de Malajagu Autant de couplets et refrains pour se déplacer sereinement dans le coin et trouver sa route. Durant son voyage, Malajagu s’est arrêté plusieurs fois. Notamment ici, où il s’est discrètement soulagé la vessie et a ainsi formé une marre d’eau potable. Enfin, pour les locaux. Parce que l’urine, ça ne plait pas à tout le monde… Et puis il a aussi été cool de créer ce boab au milieu de nulle part : maintenant c’est fruits et eau à volonté pour les aborigènes. Pas étonnant que l’endroit soit rapidement devenu un passage obligé des voyageurs et que des camps temporaires se formaient régulièrement autour. Les anciens en ont même fait un lieu de cérémonie et d’éducation des jeunes garçons.

La légende – le goanna dreaming – se transmet de génération en génération depuis un bail. 50 000 ans à ce qu’il paraît. Le genre d’info cruciale qui peut vous sauver la vie. Chaque personne est associée à un dreaming, hérité d’un membre de la famille, qui est en général lié à un emplacement particulier sur lequel il doit veiller et protéger. C’est une responsabilité mutuelle : les hommes veillent sur la nature et la nature veille sur les hommes, leur apportant ce dont ils ont besoin. Imaginez si la marre de pipi de l’Homme-Goanna se tari et que les hommes ne trouvent plus d’eau…

Dans la croyance aborigène, les collines peuvent entendre et les arbres provoquer des évènements impromptus. Les différents emplacements peuvent être heureux ou tristes, généreux ou méchants. Ainsi les aborigènes ont développé des liens très forts avec la Terre (paysage, nature, saison), les chansons et histoires permettant, comme dans toutes les cultures, de retenir plus facilement les éléments importants.

On en a encore un exemple avec ces deux serpents qui s’aimaient et se courtisaient, et qui finalement se sont mariés dans une grotte près de la rivière Katherine. Ils en ont fait leur domicile et se sont allègrement soulagés de petites commissions dans les mares alentours. Tout cet enrobage narratif n’a d’autre but que d’avertir, cette fois, du danger de boire l’eau autour de ladite grotte.

Un coup on peut boire le pipi du goanna et l’autre coup on ne peut plus parce que ça vient d’un serpent. Allez comprendre… Voilà pourquoi l’apprentissage commence très tôt et dure longtemps. Une des premières histoires racontées aux petits enfants vient des grands-parents qui leur apprennent à se méfier du Loondaroo, i.e. le crocodile au petit nez, i.e. le crocodile d’eau de mer.

Un grand-père explique à ses deux bambins de toujours prévenir le crocodile lorsqu’ils veulent aller pêcher dans les rivières. Le papi et le croco se sont mis d’accord sur un signal précis (allez savoir comment) qui permet à ceux qui le connaissent de pas finir dans la gueule du reptile. Mais voilà, le grand-père n’était peut-être pas très pédagogue ou les enfants un peu distraits parce qu’un jour, ces-derniers ont oublié d’appeler le Loondaroo qui ne les a pas reconnus et les a mangés tout cru. Papi, inquiet de ne pas les voir revenir, vient s’enquérir auprès du crocodile qui lui explique qu’il y a dû avoir un petit malentendu car il les a avalés. Le vieil homme tue alors Loondaroo et lui ouvre le ventre pour libérer ses enfants. Surprise : deux lorikeets (type de perroquet) sortent de la bête. Dorénavant, lorsque l’on voit des lorikeets près de l’eau, on sait que le Loondaroo rôde dans les parages.

C’est à ce moment-là que les plus petits sont censés avoir peur et se mettre à pleurer. Heureusement les membres de la tribu viennent rapidement consoler les chérubins. Instinct parental ? Non : méfiance du Serpent arc-en-ciel.

Ce dernier vit au fond des rivières et des trous d’eau. Il se déplace pendant la saison des pluies quand il apparait dans le ciel sous forme d’arc-en-ciel. Un jour, un enfant réclamait des racines de nénuphar sucrées un peu trop bruyamment. Le lendemain, il obtint ses racines mais le pharmacien de l’époque a dû se tromper de pot parce qu’il se mit à pleurer de plus bel. Le Serpent arc-en-ciel se réveilla, agacé d’être dérangé pendant sa grasse mat’, et se rua vers la tribu coupable. Il l’encercla de son corps et engloutit tout le monde, tout simplement.

Ce first people multicolore, aidé de ses autres compagnons de route, a profité de son voyage australien pour rencontrer les aborigènes et échanger avec eux sur ses techniques et savoir-faire. Ainsi ils ont transmis aux hommes les règles du vivre ensemble, leur ont dicté leurs lois et leurs coutumes.

Arramurrungundji (à vos souhaits) est venue d’une île lointaine du nord-est jusque dans le Top End et a laissé ses enfants spirituels sur place pour former les différents clans. Un système complexe s’est ensuite mis en place pour les mariages, en fonction de la tribu, du nom de famille de la personne (hérité du père) et du skinname (hérité de la mère). Avec un nom pareil, on ne pouvait pas en rester là. A la fin de son voyage, elle a voulu s’installer dans un billabong (ces lacs temporaires) mais a été attaquée par des sangsues et s’est alors transformée en rocher pour se protéger. Ça c’est la petite histoire en plus, que les aborigènes ne savaient pas trop où caser, pour dire qu’il faut faire attention aux sangsues à côté de l’eau et que les cailloux, c’est quand même plus safe.

Si on ne se marie pas entre personnes de même tribu, il a semblé également important aux aborigènes de préciser qu’il ne fallait pas se marier n’ont plus entre personnes d’une même famille ou partageant le même rôle dans la communauté.

Namarndjlog et sa sœur brisèrent les lois sur l’inceste dans une grotte de Burrunggui. Le frère se transforma en Ginga, le super crocodile d’eau de mer et la sœur devint le Serpent arc-en-ciel. Un bel avenir devant eux. Le rocher isolé qu’on peut voir au loin sur la falaise est la plume de la coiffure de monsieur que madame a mis en évidence pour que personne n’oublie leur crime. Et leur histoire est aussi racontée sur les parois de la grotte, pour les plus myopes.

Cette art rupestre vient encore de l’enseignement des first people qui, voyant que les aborigènes avaient besoin de quelques précisions supplémentaires pour vivre sereinement, leur ont également montré les outils, techniques et arts indispensables à la survie et à la transmission des savoirs.

Arramurrungundji, la fille aux sangsues, a appris aux hommes la chasse, la récolte et les secrets du langage tandis que Mimi s’est occupée de la peinture et des dessins traditionnels. Son esprit était tellement grand (malgré son patronyme) qu’il a laissé des dessins magiques en haut des parois et dans des endroits improbables. Quant à Algaihgo, elle a allumé le feu et l’a transporté dans des fleurs de banksia, arbre qu’elle a fait prospérer dans la région. Mais attention, la Femme-Feu n’hésiste pas à immoler les curieux qui oseraient pénétrer son djang. Leçon : le feu c’est bien, mais le feu, ça brûle.

Une réserve inépuisable d’anecdotes et histoires à raconter autour d’un wallaby rôti, pendant les longues soirées de la saison humide. De notre côté, on se remet doucement de tous ces noms imprononçables pour nous autres occidentaux et de ces dreamings dont le tri dans nos poussiéreuses archives a été ardu. Tout cela mériterait une analyse pointue doublée d’une critique aiguisée. Plus tard. On a rendez-vous avec Algaihgo pour se griller quelques chamallows.

Un commentaire Ajoutez le votre

  1. Mom dit :

    « Contes et légendes du Bush » il faut le publier avec ces super illustrations bravo les voyageurs du beau travail….

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