Quand on a débarqué à la ferme de Crooked Plain, on savait qu’on y trouverait pas mal d’animaux : chèvres, chiens, ânes… C’est même une des raisons qui nous a fait choisir cet HelpX. Mais à aucun moment on ne se doutait qu’on se retrouverait embarqués dans une complète gestion de bovins : achat de vaches, élevage, dressage canin, rassemblement du troupeau, inspection vétérinaire, vente, abattage et préparation de la viande.

V’ACHÈTE !

A peine arrivés et nous voilà déjà au milieu d’une décharge ambiance « Mad Max », jonchée de tracteurs hors d’usage, appartenant à la coopérative des fermiers du coin. Tout au fond se trouve une centaine de vaches parquées dans un enclos, prêtes à être vendues pour une poignée de dollars à Ewan.

Pendant que ce dernier inspecte minutieusement son futur bétail, un énorme road train de trois remorques à double étage se gare à côté de nous. Le propriétaire du troupeau, accompagné de sa petite femme indonésienne et un ami tout aussi ventripotent que lui sortent de leur voiture. Tous les acteurs de la vente sont présents.

Le processus est lancé : un chemin de barrières est créé dans l’enclos des vaches et relié à une rampe menant à l’intérieur du camion. Les hommes s’affairent alors avec leurs bâtons électriques pour faire rentrer les bovidés dans leur domicile provisoire. Si sur le papier cela semble facile, la réalité est tout autre. Les vaches sont stressées et il suffit qu’une ait des réticentes à suivre le protocole pour qu’une dizaine d’autres se mettent également à paniquer. Les museaux et les pattes se bloquent dans les barrières, ça beugle dans tous les sens, certaines essaient de s’échapper en montant sur leurs camarades. Malgré cette agitation, Ewan garde son sang-froid, repère rapidement les vaches malades qu’il écarte de la vente et parvient à guider l’ensemble à bon port. Un vrai jackaroo.

LES CAGES AUX FOLLES

Une demi-heure plus tard les vaches sont redescendues du road train et installées dans les enclos d’Ewan. Le déchargement est l’occasion de compter précisément les nouveaux pensionnaires et de fixer le prix définitif de la transaction.

Une fois les billets échangés et nos batteries rechargées, il est temps de prendre en main le troupeau. Les vaches sont à nouveaux entraînées dans un chemin barriéré au bout duquel se trouve une machine appelée « The Crush » (ça ne s’invente pas …) qui permet d’immobiliser l’animal pour un check-up complet. Suivant leurs caractéristiques, les vaches sont ensuite réparties dans quatre enclos différents.

Encore une fois, voilà pour la théorie ; la pratique est un peu plus musclée. Les bovidés apeurés rentrent difficilement dans le chemin menant au Crush, et il faut alors jouer avec trois portes pour bloquer les vaches dans des compartiments. Une fois stabilisée, chaque vache est marquée au fer chaud de trois lettres – TEG – désignant les bêtes d’Ewan. Puis on applique un jet d’antibiotique sur le dos et enfin, on met en place une étiquette sur l’oreille comportant également les trois lettres TEG (double protection en sorte).

Ces trois actions entraînent immanquablement des ruades, des coups de sabot en tous sens et des beuglements à vous faire frémir. Ewan indique alors la catégorie de l’animal – petit veau, grand veau, jeune vache, vache ayant déjà eu des veaux, bœuf ou bœuf castré – qui est relâché et détale à sauve-qui-peut. On passera tout un après-midi à répéter ces mêmes gestes sur plus d’une centaine de vaches.

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Vaches, je vous aime… Une des vaches a particulièrement mal digéré le fait de se prendre un coup de chaud sur les fesses (étonnant) et a donné un violent coup de sabot juste au moment où je m’apprêtais à l’asperger d’antibio. C’est le diaphragme qui a pris, et tout l’air qui s’y trouvait s’est fait éjecté en une demi-seconde. Propulsé en arrière sur le comptoir, genoux à terre, impossible de respirer pendant 2 minutes… Gros moment de panique. On savait que la faune australienne était dangereuse, avec ses serpents, ses crocodiles et ses araignées mais les vaches on n’y avait pas pensé. Finalement, plus de peur que de mal et je garderai de ce moment une petite cicatrice souvenir, bien plus intéressante qu’un aimant pour frigo à 10$.

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PETIT POINT SUR GRANDS PRINCIPES

Remis de ces émotions fortes, Ewan nous explique pendant le dîner sa vision de l’élevage bovin. Opposé à l’élevage intensif, il préfère acheter un petit nombre de vaches, en prendre soin et bien les nourrir pour ensuite les revendre toutes belles et bien dodues avec un petit bénéfice à la clé. Les vaches enceintes seront également vendues, même si elles rapportent moins (parce qu’il faut ensuite s’occuper du veau pendant un temps). Seuls quelques veaux naissent à la ferme, dont Wendie qu’Ewan a gardé comme animal de compagnie. Et de temps en temps, il se garde une vache pour sa consommation personnelle.

Notre mission à la ferme sera de s’occuper des vaches afin qu’elles redeviennent des herbivores apaisés. En effet, la moindre présence humaine ou le moindre bruit suspect les font sursauter et se terrer dans un coin de l’enclos (5 vaches au m² c’est possible…). Il y en a même une qui s’est coincée les quatre sabots dans l’abreuvoir, la tête dans la clôture en essayant de s’enfuir…

UNE VACHE BIEN GARNIE EN VAUT DEUX

Le groupe des « adultes » (vaches et bœufs) est directement libéré dans un des grands prés disponibles au fin fond de la ferme. Ils sont bien en chair et ne nécessitent donc pas de traitement particulier avant le retour à la nature. Les petits veaux, eux, restent dans les enclos pour se refaire une santé. Il faut dire qu’avant une vente de bétail, certains éleveurs peu scrupuleux affament leurs vaches pour ne pas payer de nourriture inutilement… Triste.

Tous les matins, on amène d’énormes sacs de bouffe de 30 kg chacun dans des grandes mangeoires en plastique. On débute timidement avec 6 sacs pour les deux enclos, en se disant que ça suffirait. Puis on réalise que les mangeoires se vident rapidement. Trop rapidement selon Ewan qui regarde ses veaux se chamailler la nourriture. On se retrouve donc à verser plus de 400kg de billes de foin pendant que le soleil se réveille doucement. Exercice physique intense dès potron-minet.

Plus les jours passent, plus les vaches s’habituent à notre présence. La flight zone du troupeau, périmètre dans lequel toute présence étrangère le fait paniquer, se réduit jour après jour. La petite routine s’installe et certaines en viennent même à nous attendre pour réclamer leur repas quotidien.

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Donkey see, donkey do… Il n’y a pas que les vaches qui prennent le pas de ce rituel gastronomique. Eddie, l’âne de la ferme, a bien senti qu’il se passait quelque chose de nouveau dans le coin, et n’a pas mis longtemps pour faire son cinéma. A peine arrivés pour récupérer les sacs de nourriture, le voilà qui braille à tue-tête pour lui aussi avoir sa part du gâteau. Et faibles que nous sommes, on craque à chaque fois…Un petit supplément brossage de poil avec savonnette et spray d’eau complète parfois la prestation haute gamme qui lui est réservée.

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PATAUGEOIRE DOGS

Comme tout éleveur qui se respecte, Ewan tente de garder le contrôle de son troupeau. Il les emmène manger ici et là, les ramène à l’enclos lors des inspections vétérinaires, les regroupe lors des ventes, etc. C’est ce qu’on appelle « mustering », le rassemblement. Mais difficile de gérer tout seul autant d’animaux. C’est à ce moment que ses chiens rentrent en jeu.

Une à deux fois par jour, c’est séance d’entraînement des chiens en situation réelle. Un troupeau est provisoirement libéré dans un pâturage et les chiens doivent le contenir en obéissant aux ordres lancés par Ewan depuis son quad : « Charlie come here ! », « Stop ! Stop ! STOP ! », « Get baaaack ». Voilà le spectacle auquel on pouvait assister depuis la terrasse. Les premiers essais sont peu concluants : les chiens s’agitent dans tous les sens et manquent de peu de se prendre des gueulantes de vaches, elles-mêmes paniquées par la situation quelque peu inhabituelle. Mais après une conversation téléphonique (dont le contenu reste encore à ce jour mystérieux) avec un ami qui se classe parmi les dix meilleurs dresseurs australiens, Ewan réussira à créer la symbiose maître/chiens/vaches nécessaire à son métier.

JEU, SET ET VACHES

Pour gérer sa ferme Ewan se contente de ses chiens pour l’assister. Cependant il existe un autre moyen couramment utilisé dans les exploitations de grande taille : les hélicoptères ! On les entend passer dans le ciel deux à trois fois par jour pour repérer et rassembler le bétail des fermes environnantes.

Au cours de notre dernière semaine, Ewan souhaite rassembler ses vaches pour une session vétérinaire avant de les vendre la semaine suivante. Problème : certains prés éloignés de la ferme sont envahis par les hautes herbes, rendant impossible le rassemblement par voie terrestre. Et évidemment, un petit groupe de vaches a décidé de faire la rébellion à cet endroit précis. Ni une ni deux, Ewan prend son téléphone et une quinzaine de minutes plus tard, un hélicoptère apparaît dans le ciel et vient se poser juste à côté de la maison, dans un nuage de poussière qui n’est pas sans rappeler « Apocalypse Now ». Après une rapide explication de la situation au pilote, ce dernier remonte dans son engin volant et s’ensuit une séquence de haute voltige mémorable.

Tournoyant au-dessus du troupeau à la manière d’un cascadeur hollywoodien, le pilote nous prouve en quelques secondes qu’il maîtrise définitivement son sujet (s’il en était besoin). Chute libre, puis redressage de dernière minute, demi-tour sur place, frôlement des vaches. Pirouettes après pirouettes, il parvient au terme d’un ballet aérien rondement mené à rameuter la troupe mutine en terrain accessible. Seule petite ombre au tableau : une vache manifestement déterminée à faire la révolution s’est échappée dans le bois qui jouxte le pré. Ewan, toujours aussi impassible, nous dit qu’il ira la récupérer une autre fois.

Ne nous reste plus alors qu’à ramener tout ce petit monde à la maison. La dernière partie de cette folle transhumance se fera en quad cette fois, via la route qui mène à Crooked Plain. Ewan devant, à donner les instructions aux chiens pour qu’ils contiennent les bêtes, et nous derrière au cas où il y aurait des réticences bovines. Sable rouge voltigeant dans les airs, ombres des vaches trottinant sur le bitume sur fond de coucher de soleil… C’est donc avec un remake de « Fast & Furious » que s’achèvera cette épique trilogie.