Des herbivores et des hommes

Right’o ! Exit la ville aux mille libellules, exit la famille Copley et sa maison tout confort, exit les mangroves, les pads thaïs et les couchers de soleil dans la mer. On quitte Darwin pour commencer notre descente vers le sud. En moins de 2h, un bus nous débarque à Adelaide River, petit bled du bush situé à une centaine de kilomètres de la capitale du Nothern Territory. Ambiance western garantie : une station-service avec trois pompes, le post-office et un pub/auberge constituent le centre-ville. Ewan, un éleveur de bétail, nous attend dans son ute.

Ewan est un homme de défis, toujours dans l’action. Avec ses épaules larges, son regard franc, son grand chapeau de paille, ses bottes crotteuses et ses tee-shirts troués, on se dit d’emblée qu’il incarne la profession d’agriculteur à la perfection. Ewan est calme et lucide, répétant à qui lui demande des explications sur l’élevage bovin : « Non ça ne me dérange pas de tuer mes vaches. Tout le monde meurt à la fin. Tu meurs, la vache meurt. On vit et on meurt. C’est ça la vie ». En plus de son troupeau de vaches, Ewan s’est entouré de chèvres et moutons, d’un âne et de quatre chiens, dont un bébé qu’il a pour ambition d’entraîner pour des concours de chiens de berger.

Après un rapide détour par Batchelor (la « grande ville » des environs) – le temps pour Ewan de participer à sa réunion publique mensuelle et pour nous d’entamer notre ruralisation express – nous voilà arrivés à Crooked Plain : 250 ha de terrain au milieu de nulle part, recouverts d’hautes herbes dorées et d’eucalyptus.

Passée la clôture, on découvre ce qui fait office de quartier général : une maison composée de tôle et de bois, avec une immense terrasse entourée par un jardin à la pelouse impeccable. Quand il a acheté le terrain en 2008, il n’y avait à peu près rien, si ce n’est la barrière qui matérialise la frontière. Tout a été construit au fur et à mesure : la piscine, le jardin, les enclos… Même le chemin existant qui permet d’y accéder a dû être aménagé. Et aujourd’hui, presque 10 ans et plus d’un million de dollars plus tard, il faut bien avouer que le travail qui a été abattu est impressionnant. La maison, bien qu’esthétiquement sommaire, s’avère très fonctionnelle et agréable à vivre.

A une centaine de mètres se trouve l’abri des helpers : 4 chambres donnant sur une terrasse avec une salle de bain à ciel ouvert. On se rendra rapidement compte que nous n’en avons pas l’exclusivité d’usage : grenouilles dans les canalisations qui déposent tous les matins une petite crotte sur le bord du lavabo ou sur la cuvette des WC, insectes en tout genre qui se faufilent dans les draps, chouette qui fait le guet devant notre porte ou encore guêpes géantes qui construisent leur nid de terre sur les chaises. Mais malgré le côté un peu spartiate du lieu, on prend rapidement nos marques et faisons de ce refuge pour animaux notre petit cocon.

Après une bonne nuit de sommeil, entrecoupée de hurlements de dingos rôdant auprès des enclos, la « real life » peut débuter. On se lève à 6h pour prendre le petit-déjeuner sur la terrasse, face au lever du soleil et aux kangourous peu farouches dans le jardin brumeux. ABC Radio Darwin diffuse les infos du matin ; elle ne sera ensuite coupée qu’au moment d’aller dormir. Après sa tasse de thé matinale, Ewan prend son agenda pour noter la liste des tâches à accomplir pour la journée. Au programme de notre séjour : jardinage, entretien des installations, de la maison et élevage des animaux.

En termes de jardinage, on est servi. Ewan nous emmène le matin dans feu son potager auquel il souhaite redonner vie. Des herbes folles, des bébêtes et des restes de fil et barrière… il y en a partout. On remet tout en état et semons nos graines de légumes qui pousseront à vitesse « grand V ». Le climat tropical a parfois des bons côtés !

Plus tard, c’est la soixantaine de bébés frangipaniers qui bordent la route principale qui feront l’objet de tous nos soins. On retire les grillages qui les cerclent, on paille leur pied pour éviter que l’herbe ne les envahisse, on remet en état le système d’arrosage (notamment pour éviter les déperditions d’eau) et on les asperge de fertilisant bio pour leur donner un petit coup de boost. La floraison sera à la hauteur du temps passé : magnifique.

Concernant l’entretien de la ferme, le travail devient encore un peu plus physique. Notre job est de vérifier l’état de toutes les barrières, électriques ou pas, puis de les remettre en état. Cela va de la vieille barrière avec piquets et fil rouillés que l’on doit démonter à l’aide d’un tracteur, au 6ème fil, le petit coquin du bas, qui a une fâcheuse tendance à s’embourber et qu’il faut sortir de la gadoue, en passant par tous les fils coupés ou endommagés à changer. Et avec la chaleur accablante, la besogne quotidienne est dure. Ewan, lui, est ravi du temps : « Pendant la saison humide, il fait une telle chaleur que je bois 10 L d’eau par demi-journée. Un ami à moi n’avait pas assez bu et il s’est évanoui de déshydratation. On a dû l’amener à l’hôpital. Là il fait bon. »


Grand Theft Auto. Ce petit séjour à la ferme aura été l’occasion de tester tout un panel de nouveaux véhicules : du vieux camion Ford année 1974 tout rouillé au quad tout terrain, en passant par l’inévitable tracteur façon « L’amour est dans le pré », j’aurai eu l’occasion de perfectionner ma conduite en terrain accidenté.


Enfin, notre travail préféré de fermiers en herbe est de s’occuper des animaux, toujours sous le regard bienveillant d’Ewan qui nous explique avec passion son travail. On nourrit les chiens, la centaine de vaches et Eddy, le vieil âne qui était supposé éloigner les chiens errants des moutons… On nettoie les enclos. On soigne les bobos. On écoute et apprend tous les jours davantage sur la vie des vaches équatoriales au cou pendant (particularité acquise permettant de réguler la température du corps par transpiration) et sur le dressage des chiens de berger. De temps en temps Ewan s’absente plusieurs jours de la maison et nous confie les clés. On se débrouille alors tout seul et ce n’est pas la coupure de courant d’une heure ou des vaches trop curieuses qui nous effraieront.

Après l’effort, le réconfort. Grâce au travail fourni, Ewan nous offre tous les repas. Et ce n’est pas le moment de devenir végétarien ! Côtes de porc, rumsteck de 400 g, épaule d’agneau, saucisses de buffle… La viande vient de son exploitation et est servie dans des quantités gargantuesques dignes des plus grands buffets moyenâgeux. « Full as a goog » comme disent les Aussies. Face à ce défilé permanent, l’estomac prend rapidement le dessus sur le cerveau. Ainsi, lorsqu’on a vu de la viande décongelée dans la cuisine, on en a fait une bolognaise. Et Ewan, surpris, nous a alors demandé pourquoi nous avions mangé la viande des chiens…

En accompagnement de la viande, quelques patates douces ou potirons du jardin feront l’affaire. Le tout est cuisiné au barbecue ou bien dans un slow cooker, sorte de marmite magique dans lequel on balance tous les ingrédients et les assaisonnements, et qui au bout de 5-6 heures en fait un plat à tomber par terre. Pour la boisson, on opte pour de la Ginger Beer (qui n’a de bière que le nom), une sorte de soda australien. Ewan nous explique qu’il produit parfois sa propre bière (un homme d’action on vous dit !).

Avec des journées aussi remplies, inutile de préciser qu’une fois passé 18h on ne fait pas long feu. Le repas terminé, on s’affale une heure sur le canapé et poufs géants devant la télé pour « se vider la tête avant de dormir » comme le dit Ewan. Pendant ces trois semaines, on a donc visionné un panel de la télé australienne : émissions d’interview de personnalités, vieilles séries, journaux d’information, le film préféré de notre hôte « The Man From The Snowy River », sans oublier la série du moment « Vikings », remplie de « blood and guts ».

Quelques événements viennent rompre notre routine « 7 jours sur 7 » d’apprentis éleveurs de bovins. Une petite bière au pub d’Adelaide River tout en déposant les poubelles. Des ballades dans la propriété, au milieu des termitières et des graminées. Et surtout un week-end complet avec des amis d’Ewan, avec à l’ordre du jour de la cuisine au chaudron ou aux cendres, de la chasse, beaucoup de piscine avec les enfants et plusieurs questions sur la plage nudiste du Cap d’Agde… Chacun connait ce qu’il veut de la France.

Et avant notre départ, un petit tour sur la colline située à proximité de la maison s’imposait. A côté de la cuve à eau de 20 000 L alimentant toute l’exploitation, on peut avoir un aperçu du bush australien et de la vie à la ferme.

3 commentaires Ajoutez le votre

  1. airoz53 dit :

    Très instructif: vous allez pouvoir vous reconvertir en Ardèche, en revenant « at home », en agriculteurs bios (mais pas vegan…)! Le coup de la viande pour chien est savoureux! Ici RAS, les SAUZET ont débarqué, on les a vus hier soir à l’apéro devant des bières Corses (des vrais là!). Température agréable pour un mois de juillet, même si hier c’était orageux et lourd. Bonne continuation, bises.
    DAD.

  2. Mom dit :

    Juste qu’en français un slow cooker c’est une Mijoteuse ta tante en a une 😘

  3. Claude Sauzet dit :

    Passionnante lecture! On suivra avec grand plaisir!
    Bises Claude

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