#4 – Brin de causette…

…  à Yuendumu (Australie) avec Peter : « Je ne supporte pas l’enracinement, je m’ennuie rapidement  »

 

Il a 56 ans. Il est charpentier, artiste et travaille également dans le social.

 

 

Comment t’appelles-tu ?

Mon nom est Peter John Cosgrave, Cosie pour les intimes.

 

 

Quel est ton parcours, depuis ta ville de naissance jusqu’à ta ville actuelle ?

Je suis né à Dublin, en Irlande, en 1961. J’ai eu une enfance assez mouvementée. Ça a commencé par mon père qui est mort subitement quand j’étais jeune, sans que l’on sache pourquoi. Lors d’une visite anodine chez le médecin, ce dernier ne lui avait trouvé aucune maladie particulière mais lui avait recommandé d’aller faire un check-up complet à l’hôpital. Le soir, il est allé boire une bière au pub avec un autre patient et le lendemain, il s’est retrouvé paralysé de la moitié du corps. Il est mort sur la table d’opération à l’hôpital. Ma mère quant à elle était alcoolique et schizophrénique. Elle passait la majeure partie de son temps à l’hôpital. Des prêtres venaient aussi à la maison pour essayer de la soigner par la prière.

 

De mon côté, mon parcours scolaire obligatoire ne s’est pas très bien déroulé. J’ai changé d’école pas mal de fois et suis passé d’internat en internat, à chaque fois très catholique. Inutile de préciser le genre d’éducation qu’on y enseignait… Cela peut expliquer mon côté nomade ; je ne supporte pas l’enracinement, je m’ennuie rapidement. Je n’ai jamais compris comment on pouvait avoir le même job pendant 40 ans, dans la même entreprise.

 

Après le lycée, je voulais faire des études d’architecture – je voulais être un inventeur. Avec mon père qui travaillait dans la construction, j’avais déjà appris le métier de charpentier. Malheureusement mes résultats scolaires n’étaient pas assez bons. Alors mon professeur d’arts plastiques m’a encouragé à postuler dans une école d’art, où j’ai été accepté. Tout s’y est plutôt bien déroulé, contrairement à mon enfance.

 

Il faut dire que j’ai toujours eu un certain flair artistique. Quand j’étais jeune, je jouais de la guitare, du piano et de l’accordéon. Ma prof de piano était horrible, à me taper sur les doigts à la moindre erreur. Encore un apprentissage à l’ancienne, quoi. Mon professeur d’accordéon, lui, était aveugle. Il vivait sur un bateau, bizarrement. Une nuit il s’est intoxiqué, a chaviré par-dessus bord et s’est noyé. Je n’ai jamais retouché un accordéon après ça… C’est ainsi que je me suis mis à la guitare.

 

Je suis arrivé en Australie à 25 ans avec un permis « vacances-travail » d’un an en poche. Une fois le visa expiré, j’ai dû retourner en Irlande. C’était au moment d’un référendum sur le port du préservatif. Evidemment, les irlandais, très cathos, ont dit « non » et c’est passé à la trappe. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé qu’il fallait que je quitte définitivement ce pays. La goutte d’eau de trop. A l’époque, l’avortement était aussi interdit et 3000 femmes par mois allaient en Angleterre pour se faire avorter. Elles étaient terrifiées par les médecins locaux qui faisaient en sorte qu’elles n’aient plus jamais d’enfants si elles demandaient à avorter. C’étaient de vrais bouchers, je vous passe les détails… Il y a eu énormément de traumatismes psychologiques. Certaines femmes se suicidaient, avant ou après l’avortement, par peur des médecins.

 

Bref, je suis retourné en Australie avec un visa « touriste » de 3 mois et j’y suis resté illégalement pendant 9 ans ! J’avais créé un petit business de construction de maison en bois entre Sydney et Brisbane et pour les impôts, j’utilisais mon numéro fiscal que j’avais obtenu lors de ma première année en Australie. Au bout d’un moment j’ai fait faillite et je me suis retrouvé à la rue avec seulement $600 dans le portefeuille. Et puis, par hasard, sur le bord de la route, un gars me reconnait et me dit qu’il a un cadeau pour moi pour me remercier d’avoir changé la vie de Shaun, un de mes anciens employés qui était bon à rien. Et le mec me donne une voiture. Une voiture ! C’était un entraîneur de chameaux de course qu’il revendait en Arabie Saoudite. J’étais abasourdi ! Je suis reparti avec ma nouvelle voiture et un beau matin, j’ai ouvert le journal et il y avait une annonce qui disait « artiste recherché ». Je n’ai jamais revu ça de toute ma vie. J’ai postulé et il se trouve qu’en plus la personne était d’Irlande du Nord !

 

Je me suis marié à 35 ans. A l’époque ce n’était pas courant de se marier aussi tard. En Irlande j’ai deux amis qui se sont rencontrés à 13 et 14 ans et qui se sont mariés 7 ans plus tard. Pour leur lune de miel, comme ils n’avaient pas beaucoup d’argent, ils ont décidé de faire un tour d’Europe à vélo. Les gens les prenaient pour des fous. Au même moment, ils ont rencontré une compagnie qui avait besoin d’un couple pour un spot publicitaire. Ils ont accepté et en échange la compagnie leur a payé tout leur voyage de noce. Encore maintenant ils s’aiment comme au premier jour.

 

Ma femme était une artiste et militante aborigène. Je l’admirais beaucoup. Malheureusement, peu de temps après mon mariage, les services de sécurité australiens m’ont arrêté et m’ont dit que je devais rentrer en Irlande, parce que je n’avais pas de papier. C’était vraiment difficile pour moi de retourner là-bas. Pendant longtemps, je me suis démené pour revenir en Australie légalement et une fois réussi, ma femme m’a dit qu’elle voulait divorcer. Trop de temps s’était écoulé depuis mon expulsion et nos chemins s’étaient éloignés…

 

 

As-tu une phrase fétiche ou un mentor ?

J’ai un très bon ami, un ancien major de l’armée australienne, que je considère un peu comme un mentor. J’ai beaucoup d’estime pour ses opinions et ce qu’il a pu m’apprendre à travers notre amitié. C’est quelqu’un de très honnête, avec une discipline militaire, qui dit toujours ce qu’il pense. « Être honnête avec soi-même », voilà une phrase qui me définit bien.

 

Quand on travaille dans le social, on rencontre beaucoup de cas différents, d’âges différents, chacun avec ses histoires et ses drames personnels. Et la plupart de ces personnes se mentent à elles-mêmes pour essayer de se sentir mieux. Mais ça ne peut pas les aider, ça ne marche pas : la réalité est ce qu’elle est, il faut savoir l’accepter et l’embrasser pour aller de l’avant.

 

 

Quels sont tes projets à court et moyen termes ?

Mes projets deviennent de plus en plus confus avec l’âge. Le temps semble s’accélérer en permanence  et j’ai l’impression de ne plus réussir à suivre. Toutes ces choses que j’aimerais réaliser et dont je suis conscient qu’il est déjà peut-être trop tard. Tout ce qu’on peut faire, c’est travailler sur le passé, vivre le présent et rêver l’avenir. Ce que je préfère, moi, c’est vivre le présent, au jour le jour. J’ai toujours plus ou moins d’expositions à organiser pour présenter mon travail, mais c’est assez difficile parce que l’art n’est pas forcément très apprécié en Australie.

 

 

Dans quel pays rêverais-tu d’aller ?

J’adorerais aller sur l’île de Bornéo. La culture et le mode de vie y sont fascinants. Par exemple, dans leur société, quand une femme atteint la puberté, sa famille installe une échelle à l’entrée de la hutte. Quant aux hommes pubères, ils sont chassés de leur village et se mettent alors en quête d’une hutte d’un village voisin avec une échelle. C’est ainsi que les mariages se font. Une fois marié, dans le village de la femme, le couple reste une journée entière à se faire dévisager par tout le village. Et deux ans plus tard, le couple retourne dans le village de l’homme où ils sont à nouveau observés par tous pendant une journée.

 

Avec le mariage, le couple possède deux parcelles, une dans chaque village, afin d’assurer au moins une récolte sur un des deux terrains. En cas de mauvaise année pour les cultures, le père arrête de manger afin que ses enfants et sa femme survivent. Et si l’année est vraiment terrible, la mère aussi ne mange plus. En cas de décès des deux parents, les enfants sont élevés par la sœur cadette de la mère.

 

Arrivé à un âge avancé, entre 35 et 40 ans, le père doit rejoindre une sorte de sanctuaire des hommes âgés où il devient chasseur de tête. Ces vieux mâles traquent les jeunes hommes qui ont quittés leur village pour trouver une hutte à échelle. Et les vieilles femmes dont le mari est parti peuvent se remarier entre elles pour s’entraider et toujours avoir deux lopins de terre séparés.

 

Bref, je trouve ces coutumes absolument incroyables. Comment ont-ils pu arriver à une telle organisation sociale ? Est-ce qu’un jour ils se sont assis autour d’une table et se sont mis d’accord sur ce genre de pratique ? D’ailleurs, le cannibalisme ne vient pas uniquement de Bornéo : certaines tribus aborigènes aussi étaient cannibales !

 

 

Comment définirais-tu ta ville et ton pays en trois mots ?

Comme je ne me suis jamais vraiment installé quelque part, j’aurai dû mal à qualifier une ville en particulier. Pour tout dire, j’ai constamment bougé à droite à gauche et j’ai vécu dans tous les états d’Australie.

 

Pour mon pays, je dirais qu’il est « vaste », « incompris » et avec du « potentiel ». Les gens arrivent et/ou s’installent en Australie sans comprendre les aborigènes et leur histoire. Ils ne comprennent pas non plus que cette terre est spéciale. Aucune éducation n’est donnée sur ces sujets. On devrait pouvoir trouver des aborigènes partout, même à Sydney, et pas seulement dans le désert. Mais aujourd’hui, cela reste impossible.

 

Et en même temps, je vois du potentiel dans ce pays parce que son histoire moderne est très récente, à peine 200 ans, ce qui représente 5 générations. Un jour, les australiens devront faire face à leur propre histoire, à tout ce qu’il s’est passé avec les aborigènes, tous ces faits mis sous le tapis ; et j’espère qu’ensuite, avec le temps, les mentalités évolueront. Je ne verrai sans doute pas de changement de mon vivant, mais je garde espoir pour les prochaines générations. Peut-être que quand vous reviendrez – je sais que vous reviendrez – ça aura un peu changé.

 

 

Comment vois-tu ton pays, avec ses points forts, ses faiblesses et ses enjeux ?

Comme l’Australie est un pays immense et avec beaucoup de ressources, on se permet d’accepter beaucoup de choses : il y a des puits de captation de l’eau partout, même en plein désert, et c’est pareil pour le gaz, que l’on extrait par fracturation hydraulique. Ce sont des compagnies étrangères qui s’occupent de cela. Je n’aime pas cette surexploitation à tout prix. Et même si c’est légal, ça me préoccupe beaucoup.

 

En parlant de compagnie étrangère, il y a un domaine où les boîtes françaises sont seules sur le marché en Australie : le traitement et recyclage des eaux usées. Les villes côtières recyclent de plus en plus leurs eaux usées, ce qui pourrait poser un problème sur le long terme. Leurs systèmes de filtration permet d’enlever tout (excréments, etc) à l’exception des œstrogènes qui proviennent des femmes qui prennent la pilule. Du coup, dans 100 à 200 ans, tous les hommes qui auront bu cette eau recyclée pourraient devenir stériles. J’imagine déjà dans les banques de spermes la ruée vers celui des années 1900, parce que celui du XXIe siècle sera rempli d’œstrogène !

 

NDA&M : les propos tenus dans cet interview n’engagent que son auteur…

2 commentaires Ajoutez le votre

  1. Mom dit :

    La causette avec Cosie très attachant…

  2. barnaud dit :

    c’est un peu long à lire;et assez ennuyeux; surtout qu’on ne sait pas qui est cette personne. Mieux de le faire oralement.

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