Quand on est habitant ou visiteur du désert, on mesure plus qu’ailleurs la valeur de la nourriture et de l’eau. Et même si les produits alimentaires occidentaux ont conquis les ventres des australiens quels qu’ils soient, il reste aux aborigènes les gestes et réflexes de leurs ancêtres. Coutumes et connaissances d’un autre temps, que les nouveaux venus au centre d’art ont parfois la chance de vivre sur place. Il faut dire que le partage et la survie dans l’outback vont souvent de pair. C’est ainsi qu’on s’est retrouvé apprentis chasseurs-cueilleurs de bush tucker, la bouffe du bush.
Dans le mode de vie nomade, la priorité, c’est la transmission des savoirs. Et quand les multiples dialectes ne permettent pas toujours de se comprendre entre tribus, rien de mieux qu’on bon vieux dessin. Sur le sable, la roche, les écorces, tout est bon à prendre. Plus que de l’art contemporain plébiscité par les amateurs, les peintures s’apparentent davantage à des cartes topographiques, sur les différents points d’eau de la région, les bons coins pour la chasse ou encore les aires de récolte des légumes pour la soupe du soir.
De notre côté, faute de maîtrise du sujet ou de la langue, on observe ce que font les autres. Notamment pour la question de l’eau. On a le choix entre celle du robinet avec un goût métallique prononcé qui fait mal au bide si on en boit trop, ou celle de la grande citerne peinturlurée du centre d’art où on remarque parfois de petits vers (des larves de moustiques sans danger à ce qu’il parait…). Warlu possède aussi une autre citerne à eau au fond de la cour, à côté des balais, mais on n’a jamais vu personne y remplir son verre…
Plutôt que d’en souffrir, certains préfèrent donner leur rein à la supérette du coin pour acheter un bidon d’eau. On peut aussi la bouillir avant consommation pour plus de sûreté. Dernière conséquence de ces eaux douteuses, et pas des moindres : les dizaines d’allers-retours aux toilettes qui parsèment notre journée…
C’est également à la supérette que l’on se procure de quoi manger. Pourtant, « il y a beaucoup de nourriture dans le bush. […] C’est comme dans un supermarché là-bas ». Voilà ce que réalise le personnage principal du film Charlie’s Country lorsqu’il retourne dans le bush pour se révolter contre les lois des blancs.
Lors de nos sorties, Christine (experte en la matière) nous dégote toujours un petit quelque chose à se mettre sous la dent. Avec les myrtilles du bush, on a fait un riz au lait. Avec les mirabelles du bush, une tarte. Les bananes du bush, quant à elles, se mangent comme les bananes de chez nous. Ou alors grillées sur un pic au-dessus du feu, façon chamallow fondu. Mais ne cherchez pas de bananier ici : elles poussent sur des lianes qui s’enroulent autour des arbres.
Dans un tel décor, on aurait pu espérer des noms de fruits aux accents lointains et enchanteurs mais la rationalité européenne a préféré associer les visuels connus de nos fruits avec ceux du désert australien. En revanche, pour le goût, aucune comparaison possible.
La plus surprenante de nos trouvailles restera la noix de coco du bush. Ce fruit est comestible uniquement si l’on discerne un gros point noir sur sa base inférieure. On peut alors le décrocher de son arbre freluquet et le casser en deux pour manger sa pulpe, fraîche ou cuite. Il y a également toutes les petites larves rouges, collées à la pulpe, qui se mangent avec le doigt. Ce sont des mets de choix dans le désert. Et il reste une dernière partie bien goûtue à déguster : l’énorme ver central dont la bouche n’est autre que le fameux point noir visible à l’extérieure de la coque. On ferme les yeux et on l’arrache d’un coup de langue. Les plus courageux oseront le mâcher un peu avant de l’avaler.
Concernant la chasse, on a entendu parler, à défaut d’en voir, de battues de kangourous et de wallabies, de déterrements de goannas ou de gros vers blancs, de ramassage de fourmis à miel après la pluie et d’autres péripéties d’ici-bas. Ces animaux resteront pour nous autant d’êtres imaginaires et mystérieux dont certains dessinent encore la légende dans leurs peintures ou au fond des coolamons.
Bien que ces pratiques culinaires ne soient plus vraiment à l’ordre du jour, la nourriture du désert reste symboliquement imprégnée dans les mentalités. Yuendumu, par exemple, signifie « dreaming des fourmis à miel ». Ces bébêtes devenues mascotte du village se retrouvent partout sur les murs des bâtiments. Avec leur énorme abdomen transparent rempli de miel accroché à un minuscule corps noir, on a du mal à en croire nos yeux. Et nos oreilles lorsque Dora, une aborigène, nous demande une queue de kangourou en échange de l’autorisation de camper sur ses terres.
Vous reprendrez bien un peu de kangourou… Dans les grandes surfaces alimentaires d’Alice Springs on remarque du pain de mie « de l’outback », des pâtes « kangourou », du riz « koala » et autres produits dont le nom résonne dans l’inconscient collectif comme une promesse d’authenticité. La voilà donc, la bush tucker des temps modernes… Celle-là même qui tend à faire disparaître le mode de vie multi-millénaire des aborigènes. On a aussi droit à des aliments pour jackaroo, ces fermiers australiens qui ont « emprunté » les terres ancestrales des natifs… Retour déprimant à notre réalité commerciale.
Dernier sujet brûlant pour nous autres français : le pain ! Contrairement aux idées reçues selon lesquelles les aborigènes étaient un peuple primitif et errant, de nouvelles recherches indiquent qu’ils savaient cultiver la terre, stocker leur récolte et prendre soin de leurs ressources. En particuliers, des fouilles archéologiques australiennes ont mis à jour des pierres vieilles de 38 000 ans qui servaient à écraser des graines pour en faire de la farine. Quand on pense que le pain est apparu sur les pourtours méditerranéens il y a environ 20 000 ans, on en prend un coup pour notre grade de mangeur de baguette.
Agars, on pourra toujours se réconforter un prenant un thé d’herbes médicinales du bush ou en se faisant un masque tonifiant du visage à base d’un petit fruit vert, mélange local de concombre et de raisin. Le tout en méditant sur notre condition de « civilisés »…
WISE MAN tu deviens
Et vous avez survécu à tout ça? Chapeau (surtout pour le gros ver…)
Bises.
DAD.